Sur un bateau français, une équipe sensibilise les industriels des pays les plus polluants à transformer le plastique inutilisé. Plastic Odyssey vise à trouver des partenaires engagés et capables d’empêcher le pétrole et ses dérivés de souiller la mer.
Le bateau ressemble à la Calypso du commandant Cousteau. Il mesure 40 mètres de long et pèse pas moins de 500 tonnes. Il dispose d’une salle de conférence et de 150 m² d’atelier à l’arrière. Il s’agit d’un véritable musée de la vie sans plastique : de la nourriture en vrac dans des bocaux en verre, du savon recyclé, de la vaisselle lavable, des filtres à eau et des appareils pour la désaliniser. Simon Bernard, officier de marine marchande et cofondateur de Plastic Odyssey, envisage d’en faire un laboratoire de réduction du plastique : « Il dispose aujourd’hui d’un petit moteur, mais à terme, nous espérons le faire avancer avec du plastique. » Fin septembre, le bateau part pour 3 ans visiter les 30 pays les plus pollués du monde : première étape au Liban avant de redescendre sur la côte ouest de l’Afrique, remonter le Brésil jusqu’en Amérique centrale pour terminer en Asie du Sud-est.
Le défi semble immense : le programme des Nations unies pour l’environnement (PNUE) fait de la pollution, avec le changement climatique et la perte de biodiversité, une « crise planétaire à laquelle le monde est aujourd’hui confronté ». Chaque année, en effet, l’homme produit 300 millions de tonnes de déchets plastiques. 11 millions de tonnes finissent par se retrouver dans l’océan. « Une quantité qui devrait presque tripler d’ici à 2040 si aucune action urgente et à grande échelle n’est entreprise », prévient l’ONU. Greenpeace estime que 99 % du plastique provient de substances chimiques dérivées de sources impropres et non renouvelables. « La plupart des plastiques ne disparaissent jamais vraiment. Au contraire, elles se décomposent en microparticules qui finissent par être avalées par les poissons ou les animaux d’élevage et finalement consommées par les humains à travers leur alimentation et l’eau du robinet », commente l’ONG. Ainsi, les scientifiques recensent à ce jour près de 700 espèces marines affectées par la pollution du plastique. 9 oiseaux de mer sur 10, une tortue de mer sur 3 et plus de la moitié des espèces de baleines et de dauphins ingèrent du plastique.
Il faut donc agir en urgence. Mais comment ? « Beaucoup de plastique coule ou se dégrade en mer, souvent au fond de l’eau. Moins de 1 % des plastiques en mer flottent, de fait en naviguant, on ne voit pas grand-chose. Difficile de collecter ces plastiques sans prélever de la vie autour. Impossible d’éliminer le plastique, nous devons l’arrêter avant qu’il se déverse en mer », implore Simon Bernard. Le directeur général de Plastic Odyssey, à l’aide des deux autres cofondateurs, Alexandre Dechelotte et Bob Vrignaud, d’une série d’ingénieurs, de marins et de pédagogues sur les réseaux sociaux cherchent à stopper la course du plastique vers les océans et font du bateau une micro-usine du recyclage.
Valoriser les déchets
En arrivant dans un nouveau lieu, l’équipe du bateau mesure l’impact de la pollution et estime les besoins des industriels pour la réduire. « Nous devons apporter des réponses au plus près des gisements de déchets en imaginant des filières locales et décentralisées », décrit Simon Bernard. Connaître les objets utilisés dans la vie quotidienne, les principaux détritus jetés et la matière du plastique gaspillé permet à la petite équipe de trouver la meilleure méthode pour valoriser les déchets. Les ingénieurs les caractérisent puis les adaptent à un processus de recyclage adéquat. Ils doivent se conformer aux conditions locales. Les pays les plus pollués demeurent souvent les plus pauvres. « Ce plastique transformé doit prendre de la valeur. On fait des produits finis qui vont servir localement : des tubes pour les eaux usées, des tuiles pour couvrir les maisons, des palettes de transport qui remplacent le bois. Nous devons simplifier et rendre accessible la fabrication de ces produits et faire en sorte qu’ils soient construits et réparés par des pièces et des outils standards », reprend le directeur général du projet.
Réseau de recyclage
Sur le bateau, une dizaine de machines travaillent le plastique : le barillet moule, la presse hydraulique met en forme, le broyeur écrase, le bac de lavage et la centrifugeuse nettoient, l’extrudeuse transforme les copeaux de plastique en nouveaux matériaux, le compacteur comprime et enfin la pyrolyse retransforme les déchets plastiques en hydrocarbures liquides ou gazeux. « Nous concevons des technologies qui ont vocation à être répliquées et adaptées dans le monde entier, pour créer des filières de recyclage là où il n’en existe pas encore », écrivent les concepteurs sur leur site. « Nous voulons connecter un écosystème d’acteurs locaux pour faire émerger un réseau mondial de recyclage », confirme Simon Bernard.
Former et faire de la pédagogie
Au cours de son périple, l’équipe de Plastic Odyssey se charge d’attirer l’attention des industriels. « Près de 70 000 personnes vivent du recyclage semi-industriel du plastique rien qu’au Caire. Les Cairotes ne le font pas pour le plaisir, il faut qu’ils gagnent leur vie », reconnaît Simon Bernard. Faire du nettoyage de la planète un business intéresse les industriels, mais ils ne savent pas comment faire. « Voilà tout le rôle de notre expédition : faire connaître les solutions qui existent et se rendre visible. Dès que l’on publie une étape de notre voyage, des dizaines de locaux nous contactent », s’enthousiasme l’officier de marine.
La demande ne manque pas. Certains ne disposent pas des outils pour faire revivre le plastique, d’autres ne savent pas se servir des machines. Plastic Odyssey se propose de former les industriels : « Nous mettons en place une formation en ligne pour les recycleurs du monde entier. À chaque escale, nous sélectionnerons 10 entrepreneurs que nous formerons pendant deux semaines. Ingénieurs, experts, juristes leur donneront toutes les clés pour se lancer. Dans un troisième temps, nous construirons des machines de recyclage en suivant des plans open source que chacun pourra répliquer gratuitement », expose Simon Bernard. Plastic Odyssey soutient également 4 projets d’usines de recyclages en Guinée, au Togo, en Ouganda et en Côte d’Ivoire. L’équipe prévoit également de faire de la pédagogie dans les écoles pour limiter l’utilisation de ces matières nocives et protéger la planète.
Plastic Odyssey semble faire l’unanimité. Mais son directeur reconnaît ramer pour trouver des fonds : « Notre modèle vise à trouver des sponsors sans retour sur investissement. C’est de l’innovation collaborative. Les investisseurs nous félicitent sans accepter de nous financer. » L’équipe espère néanmoins finir par vendre des machines voire des usines de recyclage.
Source : tf1info.fr