Est-ce vraiment nécessaire de tirer la chasse avec de l'eau potable ? La question revient de plus en plus souvent, au rythme des canicules et des sécheresses. Avec un enjeu majeur à l'avenir : la réutilisation des eaux usées traitées. La France recycle 0,6 % de l'eau du réseau. Contre 91 % en Israël ou 14 % en Italie. Quelques entreprises commencent à se positionner.
Les Français consomment 147 litres d’eau par jour en moyenne, dont 6 % seulement pour la boisson et la cuisine. Pourtant, le recyclage de l’or bleu pour la chasse d’eau, le ménage ou la lessive reste un sujet tabou. La loi interdit la réutilisation des eaux grises domestiques (cuisine et salle de bains) mais laisse la porte entrouverte pour les eaux pluviales, pour certains usages – pas le linge.
En 2019, les Assises de l’eau estimaient à 0,6 % les volumes d’eaux usées réutilisés, au lieu d’être rejetés dans les cours d’eau, au sortir des stations d’épuration urbaines. Avec une seule destination autorisée : l’arrosage des golfs et l’irrigation agricole. La station de Clermont-Ferrand abreuve ainsi 900 hectares de cultures dans la plaine de la Limagne
« Nul besoin d’innover », précise Julien Louchard, formateur à l’Office international de l’eau. « Israël a commencé il y a quarante ans et recycle 91 % de son eau pour arroser ses cultures ou remplir ses nappes phréatiques. » Sans aller si loin, l’Espagne et l’Italie recyclent respectivement à hauteur de 8 % et 14 %. En Namibie, la société française Veolia fait mieux que recycler : elle potabilise les eaux grises de Windhoek – un pas psychologique, franchi aussi à Singapour, mais nullement technologique. Le groupe va mettre ce savoir-faire au service du projet Jourdain aux Sables-d’Olonne, une première en France : l’eau de la station d’épuration sera rejetée dans le bassin-versant d’un barrage qui produit de l’eau potable.
Blanchisseries
Avec la menace de plus en plus concrète de conflits d’usage, la réglementation nationale évolue. Doucement. La France vise le triplement de ses « performances » d’ici à 2025. Surtout, un décret de mars 2022 a ouvert un droit à l’expérimentation non agricole, hors finalité domestique ou entreprise alimentaire. Il a entraîné « une explosion des appels à projets avec les agences de l’eau et les régions », constate Julien Louchard. L’Occitanie vient de voter une enveloppe de 8 millions d’euros.
Cela bouge aussi dans l’industrie, productrice de rejets traités. La société Chemdoc dans l’Hérault voudrait en faire profiter des viticulteurs. La start-up lyonnaise Tree Water a breveté une technologie de recyclage des eaux de blanchisseries industrielles – 42 millions de mètres cubes par an en Europe – pour les réinjecter dans les laveuses et économiser 50 % à 80 % de la ressource. Recyclo sera testé à partir de septembre, grandeur nature, dans une entreprise espagnole.
Réseau secondaire
Quelques rares entrepreneurs tentent leur chance auprès du BTP et des particuliers sur un marché inexistant. Le groupement d’intérêt économique L4M commercialise une solution de collecte des eaux de lavage corporel (douche, lavabo et baignoire) pour les traiter dans une succession de cuves et produire « une eau technique, signalée ‘non potable’, pour laver le sol, la voiture ou alimenter la chasse d’eau », explique l’administrateur Dominique Prouteau. Ses marchés sont à Monaco : deux hôtels, le Parlement monégasque, la tour de bureaux Testimonio II… L4M a des études en cours en Espagne et en Belgique. « La France protège ses majors du traitement de l’eau », dit-il.
La récupération des eaux pluviales est un peu plus libéralisée. Certains bâtiments certifiés haute qualité environnementale (HQE), comme le centre de R&D BioMérieux à La Balme (Savoie), sont équipés d’un réseau secondaire pour tirer la chasse – très onéreux au regard du prix modique de l’eau du robinet. Plus modestement, la société Simpleaument, dans l’Ain, commercialise son Gravitron 150 euros : une station de purification de balcon, biologique et sans électricité, d’une capacité de 60 à 100 litres par jour pour passer la serpillière ou nettoyer la terrasse avec une eau claire « sanitairement acceptable ».
Source : lesechos.fr