Les groupes Eastman (US) et canadien (CA) Loop vont investir près d'un milliard d'euros en France dans des usines de recyclage de plastique. Un procédé d’un nouveau genre qui modifie sa structure chimique et améliore potentiellement le taux de recyclage des emballages ménagers qui reste inférieur à 30%.
Redonner une nouvelle vie à une bouteille de lait ou à un pull en polaire : c’est l’objectif du recyclage chimique, qui utilise un nouveau procédé pour les déchets en « PET », la grande famille des polyesters. Il consiste à casser le polymère, une longue chaîne de molécules, pour revenir aux ingrédients de base. « La dépolymérisation c’est un peu le principe des Lego », explique simplement Cédric Perben, responsable technique pour le packaging plastique chez Eastman. L’entreprise américaine va, avec le canadien Loop, investir près d’un milliard d’euros en France pour des usines utilisant cette technique. « On défait les briques et ces morceaux élémentaires qu’on appelle les monomères sont ensuite réutilisés comme matière première pour reconstruire des polymères (le plastique) à l’infini », poursuit-il. Ce procédé de « solvolyse des plastiques », employé par l’entreprise Eastman, ex-filiale de Kodak, utilise un solvant, le méthanol pour décomposer chimiquement le polymère par rupture de chaînes.
Recycler « ce que le recyclage mécanique ne peut pas traiter »
Le recyclage chimique se distingue du recyclage conventionnel, qui consiste à broyer et à fondre les déchets plastiques pour obtenir des paillettes qui serviront à fabriquer de nouveaux objets. Mais ce procédé mécanique a des limites car, après plusieurs cycles, les propriétés des plastiques recyclés se dégradent. Aujourd’hui en Europe, le recyclage des emballages plastiques est réalisé à plus de 99% par voie mécanique. La future usine française d’Eastman, dont on ne connaît pas encore l’emplacement, devrait employer 350 personnes à partir de 2025 pour recycler 160.000 tonnes par an. « Ce sera la plus importante usine de recyclage chimique de plastique au monde », promet Mark Costa, le patron du groupe. Le chimiste cible les emballages difficiles à recycler, y compris les déchets textiles. « Notre technologie permet de recycler les polyesters et PET comme les barquettes pour le jambon, la bouteille de lait opaque, les étiquettes qui sont sur les emballages ou encore les textiles comme les polaires. » « Nous ne sommes pas en compétition avec le recyclage mécanique », ajoute-t-il. « Nous nous intéressons aux produits que le recyclage mécanique ne peut pas traiter, soit parce qu’ils sont trop souillés, soit ou parce qu’ils sont colorés ou composés de plusieurs couches« , détaille Cédric Perben. Il évoque là les emballages ménagers qui se jettent dans le bac de recyclage jaune, depuis l’extension des consignes de tri qui s’applique progressivement à toute la France.
Procédé en plein essor
Le canadien Loop prévoit lui aussi d’ouvrir un site en France en 2025, à Port-Jérôme-Sur-Seine (Seine-Maritime). Le groupe utilisera « sept technologies différentes » brevetées de « dépolymérisation à basse température » lui permettant de retrouver la cellule « monomère de base » et « de refabriquer ainsi en boucle fermée du plastique de qualité comparable à du plastique neuf issu de la pétrochimie », explique Daniel Solomita, son PDG, à l’Agence France-Presse. Martin Stéphan, fondateur de l’entreprise française Carbios, a misé sur un autre procédé, biologique : la dépolymérisation grâce à des enzymes. Pour cet entrepreneur qui vient d’ouvrir un démonstrateur industriel près de Clermont-Ferrand, « ces implantations de nouvelles usines de recyclage chimique en France sont une bonne chose. Cela montre l’intérêt pour ces nouvelles technologies ». Et selon lui, « il y a de la place pour tout le monde ». Plusieurs industriels, gros utilisateurs d’emballages plastiques, se disent d’ailleurs intéressés par le recyclage chimique : Danone, L’Oréal ou encore Procter et Gamble (rasoirs Gilette, Oral-B, Pampers, Head & Shoulders).
Coup d’accélérateur en France
Avec l’annonce de ces nouveaux projets d’implantations d’usines, les pouvoirs publics espèrent réduire les exportations françaises de déchets plastiques, qui s’élevaient à 750.000 tonnes en 2020 (chiffre Ademe). Le but est aussi d’améliorer le taux de recyclage des emballages plastiques. Ce taux est inférieur à 30% en France, à la différence des pays voisins. Le PET recyclé est certes plus cher que le plastique issu du pétrole mais « il peut offrir des solutions techniques pour augmenter le taux de recyclage des plastiques et exploiter ainsi un plus grand potentiel de certains gisements », confirme de son côté l’agence pour la transition écologique l’Ademe. Néanmoins, toutes ces technologies innovantes doivent être mieux évaluées au cas par cas, estime de son côté l’Agence européenne des produits chimiques (Echa). Dans un rapport publié en novembre 2021, elle regrette le manque d’études scientifiques sur le devenir de certaines substances potentiellement nocives pour la santé et l’environnement présentes dans certains types de recyclage chimique. C’est le cas notamment, des procédés de décomposition pyrolytique. L’agence européenne recommande également de clarifier et d’harmoniser la définition du terme générique « recyclage chimique » qui englobe aujourd’hui une (trop) grande variété de procédés.
Source www.franceinter.fr