Le recyclage s’éloigne de la sphère des déchets. Les utilisateurs de matières souhaitent être plus écoutés par les pouvoirs publics. Ils parviennent à se faire une place dans des enceintes auxquelles ils n’avaient pas accès il y a encore quelques mois.
Qu’est-ce que le recyclage ? Quels sont les acteurs légitimes pour défendre les positions des professionnels du secteur ? Les réponses à ces questions semblaient évidentes et figées depuis longtemps. Mais, récemment, les lignes ont bougé, traduisant une évolution de l’approche des pouvoirs publics. De « nouveaux » acteurs se font entendre et acquièrent une légitimité nouvelle. Cette évolution répond notamment à un enjeu clé pour assurer l’avenir du recyclage : rassembler un plus grand nombre d’acteurs pour s’assurer que les matières triées trouvent un débouché dans des produits neufs.
Trois acteurs historiques
Traditionnellement, trois fédérations professionnelles sont considérées comme les représentantes légitimes du recyclage : la Fédération des entreprises du recyclage (Federec), qui rassemble des professionnels du tri des déchets et du commerce des matières triées ; la Fédération nationale des activités de la dépollution et de l’environnement (Fnade), qui représente les principaux acteurs « généralistes » du traitement des déchets ; le Syndicat national des entrepreneurs de la filière déchet (Snefid), qui regroupe les « indépendants ». Fin 2017, ces acteurs ont créé la Confédération des métiers de l’environnement (CME) pour défendre leurs intérêts communs.
Jusqu’à récemment, la représentativité de ces trois fédérations était acquise. Elles siégeaient notamment à la principale instance de concertation traitant du tri des déchets et de recyclage : la commission des filières de responsabilité élargie des producteurs (REP). Cette reconnaissance traduisait l’idée que le « recyclage » est une opération de tri de la matière, de préparation et de mise à disposition des utilisateurs qui l’incorporent dans de nouveaux produits. « Il s’agit de « recyclage », dans le sens où la matière est réintroduite dans le cycle économique », résume Manuel Burnand, directeur général de Federec. Cette approche met l’accent sur le rôle des gestionnaires de déchets qui préparent des « matières premières issues du recyclage ».
D’autres acteurs de la boucle participent au recyclage
Pour autant, d’autres acteurs s’estiment tout aussi représentatifs. C’est le cas du Syndicat des régénérateurs de plastiques (SRP) qui représente des entreprises qui lavent les déchets plastique, les broient, et réalisent les opérations de densification, micronisation, granulation, ou encore compoundage. Au total, 20 entreprises adhèrent au syndicat, totalisant 31 usines pour environ 80 % de la capacité totale de régénération française. Ces industriels répondent à la particularité des polymères qui imposent un traitement intermédiaire spécifique entre le tri des déchets et la réincorporation de la matière.
Un autre acteur revendique aussi le statut de représentant du recyclage : l’Alliance recyclage. Connue initialement sous le nom d’Union des industries du recyclage (UIR), cette organisation regroupe les fédérations professionnelles du papier/carton, du verre, des métaux et des minéraux, c’est-à-dire des utilisateurs finaux de l’essentiel des matières triées. Elle était restée très discrète, jusqu’à la montée en puissance des sujets liés à l’économie circulaire depuis l’élection d’Emmanuel Macron.
Les gestionnaires de déchets perdent un siège. Les évènements se sont précipités en novembre dernier, lorsque la commission des filières REP a changé de forme et est devenue la commission inter-filières REP (Cifrep). Cette transformation a été l’occasion pour l’État de revoir en profondeur la liste des organisations représentatives. La Fnade et le Snefid n’ont pas été reconduits et ont laissé la place à la CME (à laquelle ils appartiennent). L’intégration de la CME, qui n’avait jamais été consultée pour participer à cette instance et qui n’en avait pas exprimé le souhait, a permis de libérer une place pour l’Alliance recyclage qui fait son entrée. Quant au SRP, il est le suppléant de l’Alliance.
Pour les trois fédérations du secteur des déchets, cette nouvelle composition constitue une vraie surprise, tant leur présence commune semblait acquise. Sur la forme, tout d’abord, la Fnade, Federec et le Snefid ont découvert la nouvelle composition la veille de la parution du décret. Ils avaient pourtant été associés à l’élaboration de la Cifrep et leur nom figurait sur le projet de texte… Sur le fond, ensuite, l’ensemble des acteurs interrogés voient dans cette nouvelle composition « un signal » : il n’est plus possible de parler recyclage sans inviter autour de la table les utilisateurs de matière. Cette nouvelle composition « illustre la place que les recycleurs, à ne pas confondre avec les trieurs et traiteurs de déchets, semblent devoir occuper dans la boucle de l’économie circulaire », confirme un acteur institutionnel.
Du côté de l’Alliance recyclage, l’entrée à la Cifrep constitue une vraie satisfaction pour des producteurs qui revendiquent« [assurer] le recyclage des matériaux ». L’Alliance a fait « un gros travail de pédagogie, de reconquête, dans un contexte favorable avec l’adoption de la loi [relative à la lutte contre le gaspillage et à l’économie circulaire (Agec)] », explique Jan Le Moux. Le directeur Économie circulaire de la Confédération française de l’industrie des papiers, cartons et celluloses(Copacel) estime avoir ainsi « corrigé une anomalie historique ». D’autant que, dorénavant, la mesure officielle des taux de recyclage se fait au niveau de leur activité. Il juge donc indispensable de participer à l’élaboration des critères de qualité permettant l’admission de déchets dans leurs procédés, ainsi qu’à l’identification des perturbateurs de recyclage.
L’emballage plastique à l’écoute du SRP
Un autre signe confirme que les lignes bougent : en octobre, le SRP est devenu membre à part entière du Comité technique pour le recyclage des emballages plastique (Cotrep). Créé en 2001, le Cotrep réunissait jusqu’à récemment les producteurs de plastiques vierges, au travers de Valorplast, les fabricants d’emballages plastique, au travers de leur syndicat (Elipso), et les marques et distributeurs, au travers de l’éco-organisme Citeo.
Le SRP demandait « depuis des années » son intégration au Cotrep, explique François Aublé, président du syndicat. Jusqu’à maintenant, le syndicat participait aux travaux du comité, notamment en réalisant des tests de recyclage en usine, mais n’était pas associé à la rédaction des avis et des recommandations d’éco-conception… « Nous voulions que notre voix pèse, que le Cotrep soit plus équilibré », explique François Aublé, qui voit dans l’arrivée du SRP « un point extrêmement positif à mettre au crédit d’Elipso et de Citeo ».
D’autant que, par le passé, le Cotrep n’a pas permis d’éviter des dysfonctionnements majeurs en matière de recyclage. À ce titre, la polémique sur les bouteilles plastique en PET opaque a marqué un tournant : leur arrivée sur le marché a perturbé la chaîne de recyclage du PET, obligeant le ministère de la Transition écologique à taper du poing sur la table mi-2017. Pourtant, rappelle le rapport Vernier, le Cotrep avait identifié le problème dès 2013.
La DGE s’intéresse aussi au recyclage
Plus généralement, ces événements ont lieu alors que la direction générale des entreprises (DGE) du ministère de l’Économie s’intéresse au recyclage. Réputée proche des producteurs et peu encline à imposer des contraintes aux entreprises françaises, elle se montre désormais plus favorable aux mesures en faveur de l’utilisation des matières recyclées. Elle a notamment « longuement et fortement appuyé le nouveau dispositif de prime à l’incorporation de plastique recyclé », explique un participant aux réunions de concertation. La DGE insiste en particulier sur le fait que le tri des déchets valorisables n’a de sens que si on aboutit à un recyclage effectif. Il convient donc d’assurer un débouché aux matières, les possibilités d’exportation étant largement taries. « On est beaucoup plus écouté », confirme le SRP qui estime qu’auparavant les producteurs de résine vierge avaient beaucoup plus l’oreille de Bercy.
Cette évolution est notamment le fruit des échanges entre Bercy et les gestionnaires de déchets qui ont eu lieu dans le cadre du comité stratégique de filière (CSF) transformation et valorisation des déchets. Initié et piloté par la CME, à la demande de ses adhérents, le CSF a beaucoup travaillé sur les questions de recyclage. L’Alliance recyclage n’y participe pas et n’affiche pas de velléité particulière à le faire, d’autant que ses membres participent déjà aux CSF les concernant directement. En effet, l’Alliance juge plus pertinente une coordination entre les 18 CSF existants afin que le recyclage soit abordé dans tous les CSF concernés. L’enjeu est d’autant plus important que les CSF ont été très impliqués dans l’élaboration du plan de relance.
Cet intérêt porté aux entreprises qui incorporent les matières s’inscrit dans un contexte de défense du tissu industriel. « Il faut des filières et des usines pour recycler des matières, pas seulement de la collecte de déchet, du tri et du trading de déchets triés », résume Jacques Bordat. Le président de la Fédération des chambres syndicales de l’industrie du verre (FCSIV) explique que le message porte, l’État étant soucieux de réindustrialiser la France et inquiet de voir la Chine et l’Asie interdire l’importation de nombreux déchets triés.
Source : Actu-environnement